Le président Obama et moi-même avons en commun quelque chose que peu d’Américains partagent avec nous : nous avons été élevés par au moins un parent – biologique ou non, peu importe – qui est né et a grandi dans un milieu islamique. Intimement conscient de ce fait et de ses inévitables conséquences, je ne peux que m’interroger sur la sincérité d’Obama dans son approche du monde musulman.
Je suis né et j’ai grandi aux États-Unis mais mes parents étaient égyptiens. Bien que chrétiens (coptes), ils avaient forcément adopté - à l’exclusion bien sûr du dogme de l’islam - une vision « islamisée » du monde, fondée sur la culture et la société islamique. Ainsi, quoique je partage et apprécie la vision occidentale, je suis également familier de la Weltanschauung du monde islamique, sa vision du monde.
Elle se caractérise par le cynisme et le stoïcisme : une croyance selon laquelle l’humanité est fondamentalement opportuniste, égoïste et belliqueuse ; selon laquelle non seulement la force fait le droit, mais encore, pratiquement, c’est son rôle ; selon laquelle celui qui a le droit n’a pas à s’excuser ou à faire des concessions, mais doit s’imposer : c’est la loi du plus fort ; et, surtout, cette attitude s’accompagne d’un parfait mépris envers tout ce qui est perçu comme une faiblesse ou simplement une équivoque, c’est à dire, dans le jargon islamique, les comportements de châtrés. Je dirais que cette vision du monde est basée sur une « politique primitive ».
Quiconque a séjourné dans un pays islamique ou simplement discuté sincèrement avec des personnes originaires de ces pays – qu’elles soient musulmanes ou chrétiennes, cela ne fait aucune différence – a pu le vérifier par lui-même. En bref, la mentalité courante du monde islamique est aux antipodes du comportement du monde postmoderne, de cette vision «thérapeutique » de l’Occident où les « sentiments », le « respect mutuel », la « tolérance », la possibilité de « s’exprimer » sont des valeurs essentielles. Il n’y a rien là que de très naturel : des gens vivant dans un environnement rude (et c’est le cas de la grande majorité du monde islamique) ne sont pas impressionnés du tout par des mots apaisants ou sublimes.
Il faut souligner que ces caractéristiques ne relèvent pas à proprement parler de l’islam lui-même, mais qu’elles sont très anciennes et qu’on les retrouve pratiquement dans toutes les grandes civilisations, y compris occidentale (voir les «néo-conservateurs »). C’est le monde postmoderne et libéral qui est aberrant dans l’histoire humaine, où il apparaît comme un point à part dans la longue continuité de la realpolitik. Comme nous vivons et mourons au point culminant de cette ère - la vie est très courte - il est facile de ne pas remarquer le caractère éphémère de cette parenthèse dans l’Histoire.
À l’inverse, la civilisation islamique, dont l’essence est piégée dans une mentalité médiévale (essentiellement par la notion de sunna), est de loin le champion le plus déterminé de la politique primitive.
Voici donc quel est le problème : si moi-même et d’innombrables membres de la deuxième génération sommes intimement (voire instinctivement) conscients de cette vision du monde du simple fait que nous avons des parents issus du monde musulman, il est certain que Barack Hussein Obama – qui, en plus, a passé une bonne partie de son enfance dans le monde islamique (en Indonésie) où il a été élevé par un beau-père musulman – est parfaitement conscient de la prédominance de cette vision du monde, d’autant plus que tous – amis ou ennemis – soulignent que c’est un homme très « clairvoyant », «en phase » avec le reste du monde.
Aussi, plus que tout autre dirigeant américain il devrait savoir que le discours idéaliste et bien-pensant sur le respect mutuel (l’apaisement) qu’il tient souvent sera peut-être émouvant pour ses électeurs mais n’aura guère d’effet sur le monde musulman, sauf peut-être d’accentuer le mépris à l’égard du « tigre de papier » américain, comme Ben Laden désignait les États-Unis à l’époque Clinton. Alors pourquoi Obama fait-il cela ? Pourquoi agit-il ainsi plus encore que les autres dirigeants occidentaux (qui ont au moins l’excuse de ne pas pouvoir comprendre les choses comme le lui permet son passé) ?
Cela évoque les tactiques islamistes. Al Qaïda, par exemple, qui connaît bien les visions du monde occidentale et islamique, parle systématiquement aux Occidentaux un « langage » qu’ils comprennent (respect mutuel, tolérance, justice, etc.) et aux musulmans un langage diamétralement opposé qui est le leur (djihad, conquête, honneur, etc.). L’objectif de cette tactique est de gagner du temps afin que le monde musulman devienne plus fort et obtienne des concessions multiples, tout en leurrant l’Occident avec l’idée que tout conflit a une fin, avec un peu de bonne volonté et des concessions aux musulmans, toutes notions étrangères à la vision islamique du monde, où le respect et l’apaisement ne valent qu’au sein même de l’islam, ce qui veut dire que les non-musulmans (les infidèles) n’ont droit ni à l’un ni à l’autre.
Obama obtient le même résultat en faisant exactement le contraire : il parle aux musulmans le langage apaisant apprécié uniquement par les Occidentaux, mais méprisé par la majorité des musulmans. Dans les deux cas – que les gentilles platitudes viennent d’Obama ou de Ben Laden – seuls les Américains sont dupés par l’illusion que la paix n’est qu’une question de « gagner les cœurs et les esprits ».
Avant l’élection, beaucoup ont mis en avant les racines musulmanes d’Obama, son « altérité », comme des facteurs stratégiques utiles pour faire aimer les États-Unis au monde musulman. En fait, c’est sa capacité unique à percevoir la vision du monde islamique - son expérience, et non pas son nom - qui était le vrai facteur positif. Hélas, non seulement il ne fait aucun usage de cet avantage mais il se fait le fer de lance de l’attitude inverse – excuses, concessions et apaisement – qui ne peut que radicaliser encore plus la réaction islamique. Et pourtant, de tous les présidents américains, il aurait dû être le plus apte à trouver le ton juste – puisqu’il sait.