Middle East Quarterly

Fall 1999

Volume 6: Number 4

Al-Hudaybiya et les leçons de diplomatie du Prophète Mahomet

Translated by: Anne-Marie Delcambre de Champvert

Le 10 mai 1994, Yasser Arafat a donné ce qu’il croyait être une causerie confidentielle, dans une mosquée lors de la visite de Johannesburg, en Afrique du Sud. Mais un journaliste sud-africain, Bruce Whitfield de 702 Talk Radio, a trouvé un moyen pour enregistrer en secret (en anglais) les commentaires. Le moment était au mieux pour le processus de paix israélo-arabe, Arafat était à peine six jours plus tôt retourné triomphalement à Gaza; on pensait généralement que le conflit tirait à sa fin. Dans ce contexte la conversation belliqueuse d’Arafat à Johannesburg au sujet d’un «jihad pour libérer Jérusalem”, a eu un impact majeur sur les Israéliens, commençant un processus de désillusion qui n’a guère diminué entre-temps.

Pas moins dommageable que ses commentaires au sujet de Jérusalem a été l’allusion énigmatique d’Arafat au sujet de son accord avec Israël. Critiqué par les Arabes et les musulmans pour avoir fait des concessions à Israël, il a défendu ses actions en les comparant à celles du prophète Mahomet dans des circonstances similaires:

« Je vois cet accord comme n’étant pas plus que l’accord signé entre notre Prophète Muhammad et les Qurayshites à La Mecque »

Arafat a ensuite poussé plus loin la comparaison, en notant que, bien que Muhammad ait été critiqué pour cette diplomatie par un de ses principaux compagnons (et futur calife), ‘Umar ibn al-Khattab, le prophète avait eu raison d’insister sur l’accord, car il l’avait aidé à vaincre les Qurayshites et à reprendre leur ville de la Mecque. Dans le même esprit,

Nous acceptons maintenant l’accord de paix, mais [seulement dans le but de] continuer sur la route de Jérusalem.

Dans les cinq ans depuis sa première allusion à Muhammad et aux Qurayshites, Arafat a souvent mentionné ceci comme un modèle pour sa propre diplomatie.

Bien que cette allusion à des événements de l’histoire ancienne de l’islam soit complètement obscure pour les non-croyants, de nombreux musulmans sont familiers avec l’accord du prophète avec les Qurayshites. En parler à Johannesburg, et souvent à plusieurs reprises depuis, permet à Arafat d’envoyer un message presque clandestin sur ses intentions envers Israël, l’un intelligible pour les musulmans mais pas pour le reste du monde. Quelles intentions Arafat transmet-il avec sa référence à la biographie du Prophète? Une réponse exige un rappel historique de l’incident initial qui date de près de quatorze siècles.

Il y a une deuxième raison pour examiner avec soin la référence d’Arafat, car cela a déclenché un débat perturbateur aux États-Unis, ce qui a provoqué quelques remarques menaçantes. À leur tour, celles-ci soulèvent des questions de liberté d’expression lorsque le sujet concerne les sensibilités islamiques.

Historiographie

La vie du Prophète Mahomet est loin d’être un sujet classique de recherche, aussi cela exige quelques mots d’introduction.

Il y a un siècle, le critique français Ernest Renan faisait la fameuse remarque que Mohammed était le seul chef religieux qui avait vécu «dans la pleine lumière de l’histoire.” En disant cela, il voulait dire que les sources littéraires arabes - les textes religieux, les récits biographiques, les chroniques, et bien plus encore - sont remplis d’informations sur la vie de Mahomet. Au-delà de l’impressionnante montagne de détails, ils donnent de nombreuses preuves qui peuvent être interprétées comme portant atteinte à la réputation du prophète - ce qui bien sûr ne fait qu’ajouter à leur crédibilité.

Mais les sources qui semblaient si solides à l’époque de Renan , furent bientôt sous le feu d’une critique soutenue de la part des chercheurs qui ont exprimé de sérieux doutes sur leur exactitude. A partir de la publication en 1889-90 de Muhammadan Studies par le grand orientaliste hongrois Ignaz Goldziher, les orientalistes tels que le juriste Joseph Schacht et l’historien des religions John Wansborough ont développé une théorie complexe sur les origines de l’Islam. En résumé, ils notent que la biographie classique de Mahomet a été enregistrée dans les sources écrites, des décennies voire des siècles après les événements qu’ils décrivent. Les chercheurs pensent que les informations sur Muhammad ne furent pas (comme les musulmans l’ont soutenu) transmis d’une génération à l’autre par tradition orale, mais plutôt, beaucoup plus tard comme des munitions pour répondre à des discussions animées au sujet de la religion islamique. Pour marquer des points, Godziher et d’autres soutiennent que les polémistes pour soutenir leur propre point de vue se sont servis de la vie de Muhammad.

Les chercheurs qui acceptent cette approche plus ou moins ignorent le compte –rendu classique musulman sur les débuts de l’islam et la vie du prophète. Dans leur nouvelle version de ces événements, la Mecque, Mahomet et le Coran sont tous tout à fait transformés. Dans peut-être le plus radical de ces efforts, Hagarism, une étude effectuée en 1977 par Patricia Crone et Michael Cook, les auteurs ont exclu totalement les sources littéraires arabes et reconstruit l’histoire des débuts de l’Islam à partir de l’information qui se trouve dans les papyrus arabe, les pièces de monnaie, et les inscriptions ainsi que les sources littéraires non arabes dans un large éventail de langues (araméen, arménien, copte, grec, hébreu, latin et syriaque). Cette approche conduit Crone et Cook dans de nouvelles directions non explorées. Dans leur compte-rendu, le rôle de la Mecque est remplacé par une ville du nord-ouest de l’Arabie et Muhammad n’a été élevé “au rôle de prophète biblique» que vers l’an 700 de notre ère, ou soixante-dix ans après sa mort. En ce qui concerne le Coran, il a été compilé en Irak à environ cette même date tardive.

Bien que ces idées soient lourdes de conséquences pour la religion islamique, certaines d’entre elles potentiellement salutaires, les croyants musulmans ont, pour la plupart, soigneusement évité de faire attention à cette ligne de recherche. Et alors une étrange dualité - et finalement insoutenable - existe maintenant, avec les chercheurs dans le rôle de termites, qui rongent la magnifique structure traditionnelle et les croyants agissant comme si les poutres et les joints étaient plus solides que jamais.

En ce qui concerne le traité de Hudaybiya et la conquête de la Mecque: le moindre détail sur ces sujets provient des sources littéraires arabes. Aux fins de cette discussion, qui a à voir avec la déclaration de Yasser Arafat et l’interprétation par son auditoire de celle-ci, la question n’est pas du tout ce qui s’est passé au septième siècle, mais ce que les sources écrites arabes ont raconté à propos de ces événements et la façon dont les musulmans d’aujourd’hui les comprennent. En d’autres termes, il suffit de regarder les sources littéraires - ce qui simplifie grandement les choses, pour tous les analystes qui travaillent précisément à partir des mêmes textes.

Ceci établi, qu’est-ce que les sources littéraires arabes disent?

L’évènement

Les sources parlent de tensions entre Muhammad et les personnes influentes de la tribu de Quraysh qui contrôlaient la Mecque, sa ville natale. Les chefs Qurayshites ont vu le prophète parvenu comme une menace directe pour leurs intérêts car son message monothéiste sapait le statut de La Mecque comme lieu de pèlerinage pour les adeptes des religions polythéistes arabes. Les tensions entre les Qurayshites et la communauté musulmane naissante ont finalement contraint Mahomet à fuir la ville en 622, et il a trouvé refuge à Médine, une ville au nord de la Mecque. En 628, Mahomet avait acquis assez de force à Medine pour contester les Qurayshites et, éventuellement, les vaincre et prendre leur ville; au lieu de cela, il a conclu une entente avec eux. Appelé traité de Hudaybiya, du nom de la ville où il fut signé, ce pacte déçut beaucoup de musulmans, qui étaient prêts à en découdre. Le traité conclu que les deux parties

« ont convenu de supprimer la guerre pendant dix ans. Pendant ce temps, les gens sont en sécurité et nul ne peut mettre la main sur un autre. . . . Entre nous, on doit s’abstenir de se faire du mal, et il n’y aura pas de pillage ou de spoliation. »

Dans les vingt-deux mois après la signature du traité, de manière significative Muhammad a construit sa base de pouvoir. Il a fait de nouvelles conquêtes et conclu des alliances avec des tribus puissantes, en particulier avec les Bani Khuza’a. En conséquence, en 630, il a été beaucoup plus fort vis-à-vis de Quraysh qu’au moment de la signature. Quraysh a fait moins bien en termes de conclusion de nouvelles alliances, mais il s’alliera avec une autre tribu forte, les Bani Bakr.

Maintenant, les Bani Khuza’a et les Bani Bakr ont vécu l’une près de l’autre et ont une longue histoire de vendetta - et la vendetta en Arabie, comme dans les Appalaches était transmise de génération en génération. En Décembre 629, quelques-uns des Bani Bakr, éventuellement avec l’aide de Quraysh, ont pris leur revanche sur une partie des Bani Khuza’a, tuant plusieurs de ces derniers. En entendant ces nouvelles, Muhammad instantanément a opté pour la réponse la plus radicale – en attaquant la Mecque. Il semble qu’il avait décidé que le moment était venu de remettre en question la base du pouvoir des Qurayshites dans leur ville natale.

En réponse, Quraysh a envoyé une délégation à Muhammad, faisant une pétition pour maintenir le traité, et en offrant (comme c’était la mode arabe) une compensation matérielle pour la vie des hommes morts. Muhammad, cependant, n’avait aucun intérêt à un compromis et a rejeté toutes les propositions de Quraysh. Dans un acte de désespoir, Abû Sufyân, chef de la délégation de Quraysh, est allé à la mosquée à Médine et a proclamé, «ô gens, je garantis une protection pour tous!” A cela, Muhammad répondit sèchement: «Vous dites cela, ô Abu Sufyan, pas pour un seul d’entre nous.”

Muhammad avait déjà fait des préparatifs tranquilles pour un assaut sur Quraysh. Cela signifie qu’une fois les négociations à bâtons rompus terminées, il était prêt en peu de temps à lancer une force énorme sur la Mecque. Si impressionnante était son armée que les Mecquois ne firent aucun effort pour y résister. Au lieu de cela, ils se sont rendus, dans leur ville, sans combat en Janvier 630. Et ainsi se termina l’incident de Hudaybiya.

Diagnostic

Que doit-on faire de cette suite d’événements? Deux points ressortent. Premièrement, Muhammad était techniquement dans son droit d’abroger le traité, car Quraysh, ou du moins leurs alliés, avaient rompu ses termes. Deuxièmement, il est également clair que sa réponse était disproportionnée par rapport à l’infraction: un raid par une tribu alliée, même peut-être de connivence avec Quraysh, la conquête ne justifiait guère [de s’en prendre à] l’ensemble du territoire ennemi.

La combinaison de ces points conduit à cette conclusion: S’il n’y a aucune base pour accuser les musulmans de violer leur promesse, il y a lieu de se demander quelle validité le traité avait si les forces musulmanes étaient prêtes à exploiter tout incident mineur pour détruire un rival. La question ici n’est pas de caractère juridique mais d’ordre moral et politique.

Presque tous les historiens occidentaux sont d’accord avec ce jugement. Voici, par simple ordre chronologique, comment quelques experts ont évalué les actions de Mahomet. Notez que bien que les écrivains les plus anciens aient utilisés une langue plus dure (prétexte, casus belli), les auteurs plus récents ne sont pas en désaccord avec eux sur l’essentiel:

William Muir, écrivant en 1861 : «l’infraction reprochée... par la Coreish a offert à Mahomet un prétexte équitable pour le grand objet de son ambition, la conquête de la Mecque.”

Carl Brockelman, 1939 : Muhammad “était simplement en attente d’un prétexte pour régler ses comptes avec [Quraysh] une fois pour toutes. Une bagarre entre une tribu bédouine convertie à l’islam et certains partisans de Quraysh, dans laquelle certains bourgeois de la Mecque sont censés avoir pris part, a offert un prétexte pour déclarer la paix rompue. “

Bernard Lewis, 1950 :: «l’assassinat d’un musulman par un Mecquois pour ce qui semble avoir été une différence purement privée d’ l’opinion a servi comme casus belli pour l’assaut final et la conquête de la Mecque.”

Montgomery Watt, 1956: «En l’an 628 à al-Hudaybiyya Muhammad avait convenu de faire la paix et de mettre fin au blocus, car il était alors en mesure de consacrer plus d’énergie pour le travail parmi les tribus nomades. Dans les vingt-deux mois suivant le traité, cependant, sa force a augmenté rapidement, et quand ses alliés de Khuza’ah ont demandé de l’aide, il a apparemment senti que le moment était venu d’agir. “

John Glubb, 1970 : «Il est possible que le Prophète lui-même ait été mécontent à la perspective d’avoir à attendre dix ans avant qu’il ne puisse marcher sur La Mecque, qui semble désormais prête, comme un fruit mûr à lui tomber tout cuit dans le bec. Il est possible par conséquent qu’il se soit félicité de l’occasion que les Beni Kinanalui fournissaient, lui permettant de rompre la trêve. “

Marshall Hogdson, 1974 : «Muhammad a interprété une escarmouche entre des alliés bédouins de Quraysh et les musulmans comme une violation du traité par les Quraysh.”

Frank Peters, 1994 : «La violation aurait pu être réglé par d’autres moyens, les Qurayshites semblaient disposés à négocier - mais en Janvier 630 après JC Muhammad a jugé l’occasion et le moment appropriés pour régler ses comptes avec les polythéistes de la Mecque une fois pour toutes ».

Et Arafat - Qu’est-ce que la référence à Houdaïbiya suggère sur son action future? Il semble qu’il ait fait la comparaison avec le prophète Muhammad pour faire plusieurs remarques à un public musulman au sujet de ses propres actions:
  • Il fait des concessions impopulaires qui tourneront bien à la fin.
  • Il atteindra son objectif - bien que ce que cet objectif est et reste ambigu: ce pourrait être juste la ville de Jérusalem (en parallèle avec la ville de La Mecque) ou la totalité d’Israël (en parallèle avec tout l’ empire de Quraysh).
  • Il entend, au bon moment, exploiter une transgression mineure pour attaquer son ennemi.

Le troisième point est celui opérationnel, permettant à Arafat d’impliquer non pas qu’il va rompre les accords avec Israël mais, lorsque sa situation change pour le mieux, de tirer parti de certaine technicité pour déchirer les accords existants et lancer un assaut militaire sur Israël.

Il convient de noter combien il est facile à Arafat ou à un futur leader palestinien de trouver ce moyen de faire juridiquement. Arafat a déjà signé cinq accords complexes avec Israël qui comprennent des centaines de pages d’informations avec des détails ennuyeux à mourir.. L’Accord d’Oslo II, du 28 Septembre 1995, par exemple, s’étend sur 314 pages, sans les pièces jointes et inclut une myriade de détails. Pour ne prendre qu’une seule clause: Les autorités israéliennes se sont elles-mêmes obligées afin d’aider l’Autorité palestinienne, à maintenir un système de statistiques par le transfert des « procédures d’estimation, les formes de questionnaires, manuels, manuels de codage, procédures et résultats des mesures de contrôle de la qualité et l’analyse des enquêtes.” Le précédent de Hudaybiya implique que Arafat peut choisir n’importe quelle faute ou transgression (par exemple, ne pas avoir reçu les résultats des mesures de contrôle de la qualité) et en faire un casus belli pour une attaque tous azimuts contre l’Etat juif.

Muhammad comme un homme parfait

La référence d’Arafat à Hudaybiya a eu des échos sur plus de cinq ans, suscitant le débat à la fois sur l’épisode Hudaybiya lui-même et sur ses intentions. Les journaux et magazines généralement pas habitués à émettre un avis sur les événements du septième siècle, et encore moins sur l’histoire sacrée de l’islam, se retrouvent projetés dans un domaine tout à fait étranger (et bien gênant).. Souvent, ils font des erreurs. Qu’ils traitent de ce sujet avec précision ou non, la réponse des institutions musulmanes américaines est d’avoir une vision étroite. En général, ils répondent à toute critique des actions de Mahomet avec rage brutale et parfois même avec l’intimidation.

Avant de plonger dans la scène américaine, le contexte est nécessaire de nouveau, cette fois sur l’attitude des Musulmans envers le prophète Mahomet:

Les premiers musulmans ont vu Muhammad comme un homme exemplaire, mais en aucun cas parfait. En effet, ils n’osaient pas. Le Coran lui-même se réfère à Mahomet comme “égaré” (93:7) et comprend beaucoup d’informations qui révèle ses faiblesses. Peut-être les informations les plus accablantes , l’épisode des Versets sataniques où, pour des raisons évidemment politiques, Muhammad a reconnu la validité des dieux païens mecquois (53:19-21), ce qui fait temporairement de l’Islam une religion polythéiste (et pour apaiser ses détracteurs Quraysh). La preuve interne suggère à l’un des principaux biographes occidentaux modernes de Mahomet, Montgomery Watt, que l’incident des Versets sataniques doit être vrai: «Il semble impossible qu’un musulman puisse avoir inventé cette histoire.”

Puis, au fil des siècles, les imperfections de Mahomet se sont atténuées . C’est parce que, comme Anne-marie Schimmel l’explique dans son étude sur la place du prophète dans la foi islamique, «la personnalité de Muhammad est en effet, outre le Coran, le centre de la vie des musulmans ». Les juristes, les mystiques, et le Pieux ont fait de Muhammad un parangon de vertu, justifiant ses défauts apparents. Les fondamentalistes ont poussé ce processus un peu plus loin ; à leurs yeux, Muhammad a acquis une perfection analogue à celle de Jésus. En ce qui concerne l’épisode desVersets sataniques, par exemple, un intellectuel influent égyptienne a tout simplement rejeté les informations à ce sujet comme “fabriquées (même si elles sont dans le Coran lui-même),” En effet, il l’appelle ni plus ni moins “une fable et un détestable mensonge. “

Cette attitude musulmane protectrice envers Muhammad engendre aussi un profond ressentiment des chrétiens d’Occident, qui n’ont jamais hésité à exprimer leur propre point de vue, un peu moins élevé, sur le prophète de l’islam. Pour goûter la saveur de ces opinions il peut suffire de noter que l’un des noms médiévaux de Mahomet, Mahomet, est défini dans The Oxford English Dictionary (le dictionnaire anglais d’Oxford), dans le sens de faux prophète Mahomet, tout faux dieu, un monstre, ou le diable. Dans les temps modernes aussi, le désaccord sur le sujet de Mahomet reste très répandu et intense. À l’occasion, il a même des conséquences politiques directes. Se heurter à la haine des chrétiens envers Muhammad a rendu l’entreprise impérialiste européenne d’autant plus inacceptable pour les musulmans : par exemple, Schimmel fait valoir que c’est l’une des raisons de l’aversion au moins des musulmans indiens pour les Britanniques..”

Le caractère sacré du prophète parmi les croyants est tel que les musulmans s’opposent à toute discussion sur le caractère pieux de son caractère et de ses actions et d’autant plus venant de mécréants. Comme Shabbir Akhtar le dit dans son livre justement intitulé, Be careful with Muhammad (être attentifs à Muhammad!°), L’approbation de la prophétie de Mahomet a été le trait distinctif du point de vue musulman. Il était de la responsabilité des musulmans, donc, de veiller sur l’honneur de leur prophète.” Même l’allégation de fautes de Muhammad est considérée comme une insulte contre l’islam et à certains endroits est légalement punissable. La loi pakistanaise punit d’emprisonnement ou de mort pour “profanation délibérée, endommagement ou profanation du Coran, et directement ou indirectement, par des mots soit oraux ou écrits, ou par une représentation visible, ou par une imputation, des insinuations, souiller le nom du Saint- Prophète. " Cette loi a été souvent mise en œuvre, avec plusieurs chrétiens condamnés à mort en vertu de la loi ( et un musulman, Salman Rushdie qui a représenté le prophète Mahomet avec justesse),même si aucune peine capitale n’a encore été effectuée. En outre, des dizaines de personnes sont en attente de jugement au Pakistan sur les accusations de blasphème.

Le genre de discussion ouverte que l’Occident tient sur pratiquement tous les sujets, c’est précisément ce que la plupart des musulmans ne veulent pas permettre au sujet de leur prophète. En conséquence, les Occidentaux faisant ce qu’ils font naturellement, en disant simplement ce qu’ils pensent de Muhammad, se retrouvent sous un déluge de critiques acerbes de la part des musulmans fondamentalistes. Le cas le plus célèbre, celui de Salman Rushdie, arrive à impliquer un musulman vivant en Grande-Bretagne, mais le même genre de menaces pourrait arriver à une personne d’une quelconque religion qui vit dans n’importe quel pays (ce qui explique, par exemple, pourquoi l’auteur de Why I Am Not a Muslim [pourquoi je ne suis pas musulman] s’est senti obligé d’écrire sous un pseudonyme).

Controverse

Ce long héritage et cet ensemble d’attitudes signifient que lorsque des journalistes américains, des universitaires et des politiciens ont émis un avis sur le Traité de Hudaybiya, la réaction institutionnelle musulmane, c’était prévisible, allait être hostile. Basé à Washington le Council on American-Islamic Relations (CAIR), une organisation crédible qui a dit avoir un «lien étroit» avec le Hamas, le groupe terroriste du Moyen-Orient, a pris les devants en essayant de supprimer la discussion critique sur la référence à Hudaybiya d’Arafat. Quand un commentateur ou un politicien a eu la témérité de soulever cette question, le CAIR a orchestré une réponse musulmane abusive.. Le premier cas s’est produit dans un éditorial paru dans U.S.News & World Report, le 10 Juin 1996, lorsque le rédacteur en chef du magazine, Mortimer B. Zuckerman, a brièvement abordé [le sujet d’]Houdaïbiya:

Les Israéliens ont une question historique: Arafat est-il un véritable pacificateur, ou croit-il sa propre rhétorique, quand il fait écho à la doctrine du prophète Muhammad concluant des traités avec les ennemis, alors qu’il est faible, les violant, quand il est fort?

Dans le numéro qui a suivi de U.S.News & World Report, daté du 17 juin, les rédacteurs ont écrit publiquement dans " un mot à nos lecteurs” que “Beaucoup de lecteurs musulmans ont téléphoné ou écrit pour se plaindre que nous avons mal parlé du prophète Muhammad et de son héritage” ; en privé, ils ont dit se sentir «attaqués.” Dans une rétractation longue et rédigée avec soin, le magazine a fait les mises au point clefs suivantes:

Les lecteurs doivent être assurés que personne n’a cherché à manquer de respect à l’islam comme religion ou au prophète Mahomet en aucune façon. . . . La trêve de 10 ans a été rompue deux ans plus tard par les Mecquois.

Pourtant, les messages indignés continuaient à arriver, car le magazine n’avait pas rejeté l’idée que Muhammad avait pour «doctrine» de manquer à sa parole. Une semaine plus tard, les rédacteurs ont abordé ce point, et écrit ce que leurs détracteurs musulmans insistaient pour entendre ceci :

Nous regrettons profondément toute ambiguïté dans la langue; M. Zuckerman ne voulait pas insulter. Il faisait allusion à la référence de M. Arafat au Prophète et n’avait pas l’intention d’affirmer que c’était la doctrine du Prophète. . . . ...Ce sont les Mecquois, pas le prophète Mahomet, qui ont brisé la paix de Hudaybiyah de 628.

Cette apologie abjecte était une ruse, et la controverse a pris fin.

Dans un second incident, Yehoshua Porath, un professeur bien connu de l’histoire du Moyen-Orient à l’Université hébraïque de Jérusalem, a écrit dans The New Republic du 8 Juillet 1996:

« Arafat à plusieurs reprises a assimilé l’accord d’Oslo à l’accord de Hudaybiya, que le prophète Muhammad a conclu au cours de sa guerre avec la tribu de Quraysh. Muhammad a brisé le contrat dix-huit mois après sa conclusion, lorsque l’équilibre du pouvoir a changé en sa faveur, et c’ est devenu un précédent de base dans le droit islamique pour la façon de traiter avec des puissances non musulmanes.

L’envergure et les pouvoirs de Porath expliquent peut-être pourquoi la réaction à ce passage a été particulièrement violente. Les rédacteurs de la New Republic (la Nouvelle République) ont expliqué dans l’édition du 15 Juillet:

« Quelques jours après la publication, TNR a été la cible de centaines d’appels téléphoniques injurieux, de lettres et d’e-mails nous accusant de diffamation du Prophète et pire. Il s’est avéré que le CAIR avait, par CAIR-NET, son site Internet, exhorté les fidèles à nous faire des reproches, et ils l’ont fait. »

Ensuite on a vu toute une série de lettres menaçantes, grossières et infectes. Sur l’une typique on lit :

« Vous les gars faites gaffe, ok? Parce que cela ne va pas aller plus loin, ok? Vous feriez mieux de pendre garde de ….les Juifs ... Dites-lui d’où il vient, ok? Parce que vous connaissez sa salope de mère, - sa maman est une salope. ok? Il ne peut pas parler de la merde musulmane et vous agissez ensemble ... vous tous. Nous ne voulons plus entendre parler de ce problème, ok? C’est bien pigé?

Le dernier cas met en cause un homme politique, un membre de la Chambre des représentants (= un député) Jim Saxton, un républicain du New Jersey. Il a écrit à Arafat en Décembre 1998,

« Comment peut-on se fier à un accord comparé au traité de Hudaibiya promulgué par le prophète Mahomet, dans lequel un traité dure aussi longtemps que l’opportunisme politique le dicte [?] »

Le CAIR avait inondé le bureau de Saxton de messages agressifs mais pas des mail de haine menaçant, faisant que le Congrès se sente, selon ses mots, «mal à l’aise.” Il a écrit une lettre au CAIR, le 5 Janvier 1999, dans laquelle il a cité la citation de l’éditeur de U.S.News & World Report citée ci-dessus (que «La trêve de 10 ans a été rompue deux ans plus tard par les Mecquois”). Le CAIR a écrit un communiqué de presse triomphant le 11 Janvier citant cette phrase, puis, c’est du peaufinage, en y ajoutant cinq mots entre parenthèses et les attribuant à Saxton:

La trêve de 10 ans (de Hudaibiya) a été brisée. . . par les Mecquois (et non par le Prophète Muhammad).

L’examen de ces trois cas suggère que les organisations islamiques telles que le CAIR, soit ne comprennent pas complètement ou n’acceptent pas le Premier amendement et ses restrictions sur la liberté d’expression. Le tohu-bohu de la vie américaine ne permet pas à un tabou de s’abattre sur certains sujets, quel que soit le caractère sacré qu’ils peuvent avoir pour une partie de la population. Même les questions les plus délicates - négation de l’Holocauste, Jésus dépeint comme un homosexuel, l’infériorité génétique des Noirs - obtiennent une diffusion complète et vivante. Les tentatives faites par le Council on American-Islamic Relations et par des organisations aux vues similaires pour imposer aux Américains les notions moyen-orientales de sacré, de censure, et de privilège sont vouées à l’échec.

Compte tenu de la vigoureuse tradition américaine de liberté d’expression - en fait, quasi-sacrée - les musulmans américains doivent être informés qu’ils peuvent le mieux protéger la réputation du prophète Mahomet (ainsi que présenter les points de vue sur d’autres sujets qui les touchent le plus) non pas en exigeant le silence, encore moins en menaçant ceux qui sont en désaccord, mais en tentant de convaincre le public de leurs opinions. Plus tôt ils accepteront cette approche, mieux ils représenteront leurs intérêts et la santé du corps politique américain s’en trouvera améliorée.

Daniel Pipes, a historian, has led the Middle East Forum since its founding in 1994. He taught at Chicago, Harvard, Pepperdine, and the U.S. Naval War College. He served in five U.S. administrations, received two presidential appointments, and testified before many congressional committees. The author of 16 books on the Middle East, Islam, and other topics, Mr. Pipes writes a column for the Washington Times and the Spectator; his work has been translated into 39 languages. DanielPipes.org contains an archive of his writings and media appearances; he tweets at @DanielPipes. He received both his A.B. and Ph.D. from Harvard. The Washington Post deems him “perhaps the most prominent U.S. scholar on radical Islam.” Al-Qaeda invited Mr. Pipes to convert and Edward Said called him an “Orientalist.”
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